A Brazzaville, la population se met en marche pour cartographier les risques

Auteurs : Martin Massouangui-Kifouala, Profesor – Climatologist, Université Marien Ngouabi ; Benjamin Michelon, Urban Planner, Groupe Huit ; Pierre-Gilles Saby, Coordination, Groupe Huit ; et Yves Barthelemy, Consultant, OpenDRI

Brazzaville, capitale du Congo, a été sélectionnée pour faire partie du projet Open Cities for Africa, qui consiste à cartographier les risques naturels de façon participative et à sensibiliser les élus et les habitants des agglomérations urbaines.

Il vise à proposer une méthode participative et innovante de collecte de données dans les quartiers identifiés par le Programme de Développement Urbain des Quartiers Précaires (DUrQuaP), soit Moukoundzi-Ngouaka (Arrondissement de Makélékélé) et Soukissa (Arrondissement de Ouenzé).

L’initiative se révèle très pertinente pour cette ville où l’urbanisation s’est faite depuis les années 60 sans respecter un véritable plan et au gré des opportunités foncières. En conséquence aujourd’hui, les quartiers précaires sans eau, ni électricité, ni réseaux d’assainissement, qui couvrent 60% de la zone urbaine de Brazzaville, sont aussi les plus exposés aux aléas climatiques.

Comme dans d’autres villes congolaises, les relevés météorologiques de Brazzaville indiquent en effet une baisse des précipitations totales et une hausse de leur intensité ; il en résulte des journées extrêmement humides de plus en plus fréquentes, où des fortes pluies provoquent dans les quartiers collinaires du nord de la ville des glissements de terrain et des phénomènes érosifs considérables et, ailleurs, des inondations.

Open Cities à Brazzaville s’est focalisé sur les quartiers de Moukoundzi-Ngouaka et de Soukissa : le premier, cosmopolite, où résident environ 20 000 personnes et se trouvent TV, Radio Congo et l’école française ; le deuxième réunissant environ 30 000 habitants principalement autour du ‘marché moderne’ construit en 1982 aujourd’hui dans un état de dégradation avancé.

A Moukoundzi-Ngouaka, les sols argileux facilitent l’écoulement de l’eau en cas de pente mais diminuent son absorption sur des sols plats ; à Soukissa, les sols sableux facilitent l’absorption et l’infiltration des eaux sur les surfaces planes mais entraînent de l’érosion sur les pentes, avec pour conséquence l’ensablement de la rivière Tsiémé et des parcelles agricoles situées à proximité.

Dégradation des routes (Avenue Boueta Mbongo à Ouenzé). © Marien Ngouabi

Ces problèmes physiques associés au manque cruel d’infrastructures publiques, de réseaux d’assainissement et de drainage ont poussé les autorités de la ville à en faire la cible du projet Open Cities : aux deux endroits une trentaine de personnes (chefs de quartiers, habitants, membres du Comité de Développement Local) se sont réunies à chaque fois autour d’un atelier participatif pour recueillir les observations des citoyens, discuter des enjeux environnementaux, et définir un modèle de données à utiliser dans les cartes qui seront produites.

Mais la nouveauté de la démarche à Brazzaville réside dans l’organisation de marches exploratoires avec la population. Dans les deux quartiers les habitants, munis d’un plan en papier et suivant un itinéraire choisi par eux-mêmes, ont arpenté les rues afin de marquer les points d’attention ou d’inquiétude relatifs aux risques naturels.

Localisation de Moukoundzi-Ngouaka et de Soukissa dans Brazzaville

Moukoundzi-Ngouaka, un carrefour des cultures à Brazzaville

Le quartier de Moukoundzi-Ngouaka dans l’arrondissement de Makélékélé, a attiré beaucoup de population rurale, qui venait chercher du travail suite à la construction du premier aéroport congolais.  

Parmi les nouveaux arrivants, on comptait des populations venues du Gabon et du Tchad, mais également nombre d’anciens tirailleurs de l’Oubangui Chari, aujourd’hui République Centrafricaine, appartenant à la communauté des Ngouakas. C’est ainsi que les trois villages formant à l’origine Saint-Michel prirent le nom de Moukoundzi-Ngouaka qui veut dire en langue Kongo le chef des Ngouakas.

Du fait de sa proximité avec la cité coloniale, le Quartier de Moukoundzi-Ngouaka a vu s’installer de nombreuses infrastructures d’importance dont les bâtiments du Bureau Minier du Congo (BUMICO), qui abriteront par la suite la nouvelle Faculté des Sciences de l’université de Brazzaville, l’imprimerie nationale depuis 1905, l’Institut Géographique, et plus récemment la TV et la Radio Congo ainsi que l’Ecole française Saint Exupéry.

Avec aujourd’hui une population estimée à près de 20 000 habitants[1], c’est un quartier ouvert et cosmopolite qui s’est développé sans planification véritable : les voiries de Moukoundzi-Ngouaka sont en partie devenues impraticables et souffrent d’obstacles de différente nature : encombrement par les ordures ménagères, nids de poule, mauvais drainage conduisant à l’engorgement en eau durant la saison des pluies, manque de réseaux de gestion des eaux pluviales (tels que les caniveaux) et de gestion des déchets (manque de poubelles). A noter que le sol du quartier est en partie argileux, ce qui facilite l’écoulement en cas de pente mais diminue l’absorption sur des sols plats.

Marche exploratoire à Soukissa. © Marien Ngouabi

Soukissa, quartier adjacent à l’aéroport s’est développé autour de son marché

Le recueil des données et la démarche participative

Un premier événement a été organisé durant la semaine du 15 octobre dans les quartiers, après le lancement officiel du projet impliquant la Mairie de Brazzaville. Cet évènement mettant à l’honneur la cartographie participative s’est effectué en deux temps principaux : un atelier participatif suivi d’une marche exploratoire.

Le format du focus-group a permis de donner la parole à des personnes qui en sont souvent privées. Dans chacun des deux quartiers, trois ateliers ont ainsi été organisés : l’un rassemblant les hommes, le second les femmes et le troisième les jeunes du quartier.

Fin de la marche exploratoire des femmes à Moukoundzi-Ngouaka. © Marien Ngouabi

Des questionnaires conçus par l’équipe du projet ont permis d’établir un fil rouge à dérouler et à enrichir pendant la discussion. Ils avaient pour objectif de recueillir en amont les principaux enjeux existants quant au changement climatique afin de proposer des premiers éléments de discussion pendant les ateliers.

Les parties prenantes au projet (Chefs de quartier, habitants) ont été impliquées très directement et formellement dans l’organisation de ces ateliers. Les Comités de Développement Locaux, véritables unités opérationnelles de mise en œuvre du projet DUrQuaP dans les deux quartiers par la sélection des participants, la facilitation de l’accès à une salle à l’intérieur du quartier, mais également à l’accompagnement lors des marches exploratoires. L’ensemble des participants (30 au total par quartier) habitait dans le quartier où l’atelier était organisé, soit Moukoundzi-Ngouaka et Soukissa.

Les ateliers ont eu lieu dans les deux quartiers. De nombreuses thématiques ont été abordées par les participants : il s’avérait important de canaliser le flux de réflexions qui ont émergé des discussions afin de la concentrer sur les effets du changement climatique sur le milieu où vivent les hommes. Les problématiques d’inondation, d’érosion et d’ensablement des sols faisaient partie du contenu des ateliers. Ces enjeux, dont certains avaient été en amont anticipés par l’équipe du projet, ont servi à la constitution d’un modèle de données qui sera utilisé pour la cartographie de terrain.

Atelier des hommes à Soukissa. © Marien Ngouabi
Femmes de la marche exploratoire à Soukissa. © Marien Ngouabi

A la suite directe des ateliers, des marches exploratoires ont été initiées dans les deux quartiers pour spatialiser les problèmes évoqués lors des ateliers. Les habitants arpentent ainsi les rues munis d’un plan papier du quartier et localisent des zones problématiques. Les itinéraires des marches exploratoires sont choisis par les participants eux-mêmes.  Le respect de cette méthodologie a été garanti par l’accompagnement par l’équipe du projet des participants aux six ateliers (à raison de 3 par quartier) pendant l’intégralité des marches exploratoires. Sur la base de ces marches exploratoires, les données ont été centralisées par le département de géographie de l’Université Marien Ngouabi et les cartes sont en cours d’élaboration… A suivre donc !


Photographe : Marien Ngouabi, University of Brazzaville

Open Cities Africa is financed by the EU-funded ACP-EU Africa Disaster Risk Financing Program, and the implementation of the DURQuaP is supported by the ACP-EU Natural Disaster Risk Reduction Program, both managed by the Global Facility for Disaster Reduction and Recovery. More information on the ACP-EU NDRR Program and the support it provides to the Republic of Congo can be found here.


[1] Estimations 2016